Entre le 6 novembre 2017 et le 15 janvier dernier ont eu lieu toute une série d’auditions dans le cadre du Rapport d’information concernant l’optimisation de la coopération entre l’autorité fédérale et les entités fédérées en matière de lutte contre le vol d’œuvres d’art en Commission des affaires communautaires. Le Rapport devrait aboutir pour la plénière de ce mois de mai.

En septembre 2009 disparaissait L’Olympia au Musée Magritte à Jette. La toile avait été emportée par deux hommes. Si la toile avait pu être retrouvée, aucun suspect n’avait pu être identifié, malgré la diffusion de deux portrait-robots. En juillet 2013, c’était le Musée Van Buuren à Uccle qui était la cible de voleurs. La penseuse du peintre néerlandais Kees Van Dongen et Crevettes et coquillages de James Ensor, ainsi que d’autres œuvres d’art, avaient été dérobées. Il s’agit là des vols les plus récents et les plus marquants en Belgique.

Dans le cadre du trafic illicite, les biens culturels sont définis par l’article premier de la Convention de l’Unesco de 1970. Ainsi: «[…] sont considérés comme biens culturels les biens qui, à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque État comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science […]».

UN COMMERCE RENTABLE

«Depuis 2009, nous constatons une tendance à la baisse des faits de vols d’œuvre d’art, mais la valeur du butin a augmenté de façon spectaculaire» a rappelé en décembre 2015 le Vice-premier et Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Jan Jambon. «Chaque mois sont commis des vols dont le butin excède des centaines de milliers d’euros (la valeur du butin d’un seul vol d’œuvres d’art équivaut à au moins quatre à six vols au bélier dans des bijouteries) et plusieurs vols dépassent le million d’euros.»

Il s’agit donc d’une problématique bien réelle en Belgique ainsi que chez nos voisins européens. C’est la raison pour laquelle le Sénat a décidé de se saisir du dossier et d’en faire un rapport d’information, d’autant plus que le thème abordé est tout à fait transversal.1

Suite aux déclarations du Ministre et aux différentes auditions en Commission, le constat est le suivant: les auteurs de vols opèrent en fonction de la valeur du butin. Il y aurait d’ailleurs une tendance identique dans les pays voisins, ce qui tend à indiquer que la criminalité organisée internationale dans le domaine de l’art devient de plus en plus active. Les intervenants de la police judiciaire fédérale, MM. Ludinant et Verhaegen, ont cité les chiffres suivants: l’on dénombre aujourd’hui, chaque année, plusieurs vols portant sur une valeur de plus de 500.000 euros, voire un million d’euros.

Le commerce illicite de l’art n’échappe pas au principe de l’offre et de la demande: la quantité des œuvres d’art mises en vente a tendance à croitre en raison des bénéfices escomptés, du manque de sanctions effectives pour les auteurs coupables de tels actes ainsi que de par la globalisation et la libre circulation commerciale.

L’absence de directives, comme c’est par exemple le cas pour la Région bruxelloise2 et l’absence de sanctions en cas de non-respect des lois sont des aubaines pour les trafiquants d’art.

LE VOL D’ŒUVRE D’ART À TRAVERS L’HISTOIRE

Selon nos observations, le vol d’œuvres d’art s’est appréhendé de différentes façons à travers l’histoire. Dans un premier temps, la protection des biens culturels s’est d’abord envisagée en temps de guerre. Elle s’est alors traduite dans la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés, ou Convention de La Haye de 1954. Deux protocoles de 1954 et 1999 s’y joignent. Cette Convention prévoit toute une série de mesures préventives et restitutrices pouvant être prises les États signataires en temps de paix, de guerre, et de conflit armé.

Dans un second temps, les États-Nations naissant dans la deuxième moitié du XXe siècle ont envisagé la protection de leur patrimoine culturel et artistique davantage en temps de paix. La Convention concernant les mesures à prendre afin d’interdire et d’empêcher l’importation, l’exportation et le transfert illicite de biens culturels est adoptée à Paris en 1970. Il s’agit jusqu’à aujourd’hui du seul instrument juridique universel conçu pour lutte contre le trafic illicite de biens culturels.

Enfin, et comme l’ont indiqué certains experts lors des auditions en Commission, ce début de XXIe siècle permettrait d’établir un lien direct entre le trafic illicite d’œuvres d’art et le financement d’organisations terroristes. Il existe une interconnexion manifeste entre différents phénomènes tels que: vols de biens culturels, paradis fiscaux/blanchiment d’argent, financement du terrorisme, et ports francs.

Le cas du site d’Apamée en Syrie, une perte inestimable

Les travaux sur le site d’Apamée qui se trouve actuellement au cœur du conflit syrien, sont rendus extrêmement difficiles de par le trafic illicite qui se fait autour des mosaïques, a fait remarquer le Professeur Vivier. Il a insisté sur le concept de ‘pillage’ ou de ‘fouille clandestine’ qui doit se distinguer du vol: une œuvre d’art pillée ne livre aucune information sur son rattachement à la culture dans laquelle elle prend (ou prenait) place. Le Professeur a insisté: «Les dégâts occasionnés auront des répercussions dramatiques sur les progrès de la science et donc de l’humanité. Même si ces biens seront récupérés un jour, ils auront été à jamais coupés de leur contexte historique.»

«Toute œuvre, depuis les pierres dressées et alignées de Carnac, jusqu’aux expérimentations contemporaines, témoigne de l’imaginisme.»2 Et cet imaginisme, ce témoin d’un passé créatif, ce patrimoine artistique, cette pièce maitresse, il faut le (la) protéger.

UN CONTRÔLE DIFFICILE MAIS DES SOLUTIONS EXISTENT !

De façon globale, le marché noir abandonne les moyens et lieux de transaction traditionnels comme les marchés aux puces pour se tourner vers des modes de transaction d’antiquités en ligne, par le biais de places de marché non réglementées sur les médias sociaux.

Plusieurs solutions sont envisagées par les Sénateurs. L’une d’entre elles recommande d’investir dans la spécialisation de nos forces de police, douaniers et magistrats. La spécialisation permet en effet aux acteurs de terrain d’être familiarisé avec la problématique. Elle peut contribuer à l’efficacité des enquêtes et à l’élucidation des infractions liées au domaine bien particulier qu’est celui de l’art. Dans ce contexte de spécialisation et de formation, l’on peut également penser à soutenir la participation de certains membres de la communauté des enquêteurs et des acteurs publics et privés, à « Horizon 2020 », une plateforme européenne sociale active sur le thème du patrimoine culturel en danger et du commerce illicite de biens culturels. Dans le même ordre d’idée, la possibilité d’une « charte éthique » a aussi été évoquée puisqu’elle permettrait d’encadrer la profession d’expert en œuvres d’art.

Du point de vue de la concertation, qu’elle soit nationale ou internationale, certains points sont également à souligner. Les actions de la plateforme de concertation intrabelge « Importation, exportation et restitution » sont à encourager. Maintenant que la Convention de l’Unesco de 1970 va être transposée en droit belge, la plateforme pourra certainement se pencher sur la Convention Unidroit de 1995. Du point de vue international, notre Cellule du Traitement des Informations Financières (CTIF) est demandeuse d’une plus grande collaboration avec ses homologues mondiaux afin d’échanger plus rapidement les informations. Cette expertise pourrait alors être mise à disposition des autorités judiciaires et douanières. De façon générale, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale, la collaboration entre les policiers, douaniers, représentants des musées, de la culture et du marché de l’art doit également être renforcée.

D’autres propositions ont été apportées par les experts telles que: imposer la tenue d’un registre dans le chef des antiquaires sur base de l’article 10a de la Convention de l’Unesco ou encore systématiser le recours à des inventaires sur base par exemple de la norme Object-ID-Compliant, établie par Interpol, ICOM et le Getty Museum.

Conclusion

Le vol d’œuvres d’art n’est pas une problématique nouvelle. Elle a d’abord été abordée en temps de guerre, dans le cadre de conflits armés, avant d’être réglementée en temps de paix. Aujourd’hui, elle touche une autre dimension: des liens clairs peuvent être établis avec le blanchiment d’argent et le stockage d’œuvres d’art dans des ports francs tels que Genève ou Luxembourg, et dans une certaine mesure, avec le financement du terrorisme.

C’est pour ces différentes raisons que le Sénat, via sa commission des affaires communautaires, a décidé de se saisir du problème. Le travail en Commission est d’ailleurs toujours en cours. La phase d’auditions est terminée. Actuellement, les différents groupes politiques s’attellent à la rédaction de constats et de recommandations s’adressant aux différents gouvernements du pays.

La restitution des œuvres d’art, une priorité libérale

En janvier 2018, le Député Richard Miller a déposé une proposition de résolution à la Chambre afin de demander au gouvernement fédéral d’entamer un dialogue raisonnable et constructif avec la France, faisant suite au discours du Président français de novembre 2017 dans lequel il envisage une restitution temporaire ou définitive d’œuvres du patrimoine africain « indûment conservées en France ».

Le Député a listé seize chefs d’œuvres se trouvant dans des musées français et qui ont été dérobés à Bruxelles, en Flandre et en Wallonie. Ces tableaux sont des œuvres de Rubens, de Jordaens et d’autres peintres de cette période dite ‘Ecole de Rubens’. Elles étaient la propriété d’édifices religieux qui furent pillés et pour la plupart détruits par les troupes révolutionnaires et napoléoniennes. Elles furent acheminées vers Paris entre 1792 et 1794 et ensuite dispersées dans les musées de province où elles contribuent toujours à leur réputation.

M. Miller en est persuadé: «Accepter de restituer leurs biens, par exemple aux cathédrales de Tournai et d’Anvers, serait un geste à portée européenne qui, de plus, servirait d’exemple sur la scène internationale.»

  1. Les conventions internationales pertinentes sont des traités mixtes, qui doivent donc être ratifiés aussi bien par l’Etat fédéral que par les entités fédérées. Pour les musées et les institutions scientifiques et culturelles, plusieurs niveaux de pouvoir sont également concernés. D’autre part, la détection et la répression des vols d’œuvres d’art et du commerce illégal de biens culturels relèvent de la compétence fédérale tandis que le patrimoine culturel et sa protection relèvent en revanche de la compétence des entités fédérées.
  2. C’est seulement le 31 mars 2009 que la Belgique a déposé son instrument de ratification de la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.
  3. Citation de Richard Miller, Esthétique imaginiste, Editions du CEP, Marcinelle, 2015, 149 p.

Audrey Mertens