Anne-Charlotte d’Ursel : Approbation du rapport d’information sur la mobilité professionnelle

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Notre sénatrice Anne-Charlotte d’Ursel est intervenue pour notre rapport d’information sur la mobilité interrégionale des travailleurs et la coopération des services publics de l’emploi. Ce rapport met en lumière les disparités de chômage entre Flandre, Wallonie et Bruxelles, tout en alertant sur les pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs.​

Elle souligne que pour relever ces défis, il faut miser sur la formation, la maîtrise des langues nationales et l’adaptation des transports. Les 60 recommandations proposent de rapprocher les politiques de formation, faciliter le permis de conduire et améliorer la coopération entre institutions régionales.​

Le rapport a été approuvé aujourd’hui au Sénat.

Retrouvez son intervention complète ici :

Monsieur le Président, Chers Collègues,

Au nom de mon groupe, je prends la parole pour défendre mais aussi pour vous rappeler la genèse du « Rapport d’information visant à renforcer la mobilité interrégionale de l’emploi et la coopération entre les services publics de l’emploi ».

S’inscrivant dans la continuité des différents débats sur l’efficacité du marché du travail belge, ce rapport est né d’une demande du groupe MR en février dernier. Sous la conduite de trois co-rapporteurs MM. Diallo et De Roo ainsi que moi-même, la commission des matières transversales – compétences régionales – a auditionné experts, services publics, partenaires sociaux et représentants institutionnels de toutes les Régions de notre pays.

Ce travail de longue haleine, conduit pendant près d’un an, a permis de dresser un état des lieux circonstancié et partagé, aboutissant à l’élaboration de plus de 60 recommandations, fruit d’un dialogue constant et d’une volonté sincère de coopération.​

Les nombreuses auditions menées nous ont permis dégager un diagnostic sous formes de constatations à l’aide de l’éclairage d’experts de divers horizons tant du monde académique que du tissu économique de notre pays. Permettez-moi de vous en présenter un condensé

Notre pays reste marqué par des écarts persistants de taux de chômage et d’activité, non seulement entre Régions, mais aussi au sein des bassins d’emploi : des zones urbaines touchées par le chômage sont parfois voisines de zones rurales relativement dynamiques, et l’on observe même, dans un même bassin, des poches où la précarité persiste.

Les derniers chiffres montrent que la Flandre demeure autour de 3,8% de chômage, la Wallonie à 7,5%, et Bruxelles à 11,9%, alors que le taux national est de 6,2%. Si le contraste régional est patent, on observe aussi des fractures internes à chaque entité, ainsi qu’une disparité entre l’offre et la demande locale de compétences.​​

Une autre réalité saute aux yeux : les pénuries de main-d’œuvre sont généralisées et frappent toutes les régions. Le chevauchement des métiers en tension atteint 61% entre Flandre et Wallonie : construction, industrie, santé, transports, logistique, ce sont les mêmes secteurs qui peinent à recruter de part et d’autre de la frontière linguistique. Or, cette pénurie sera exacerbée dans les années à venir en raison du vieillissement démographique, surtout en Flandre et en Wallonie, où l’on prévoit une vague de départs à la retraite d’ici 2030 dans les métiers techniques, une tendance qui fragilisera encore davantage l’offre de main-d’œuvre qualifiée.​

Les auditions menées au sein de la commission ont confirmé que les profils des candidats wallons et bruxellois restent, pour nombre d’entre eux, insuffisamment qualifiés pour intégrer le marché du travail flamand. Ce dernier requiert dans 90% des cas non seulement des compétences techniques, mais surtout une bonne connaissance du néerlandais. Le manque de formation linguistique adaptée constitue dès lors une barrière majeure à la fluidité des parcours professionnels entre nos Régions.​

Il est, selon les experts, illusoire de croire que la mobilité interrégionale serait motivée par un différentiel salarial : l’évolution des salaires reste globalement homogène entre Régions. C’est bien la structuration du marché de l’emploi – pénurie des profils adéquats, qualifications techniques, maîtrise des langues – et non l’attractivité des salaires qui façonne la faible mobilité entre bassins.​​

Les flux de navetteurs se maintiennent à des niveaux élevés, surtout de la Wallonie ou de Bruxelles vers la Flandre, mais leur part dans l’emploi global ne progresse pas. Ces flux, s’ils s’intensifient en nombre absolu depuis 2015, n’entraînent donc pas de reconfiguration majeure du marché de l’emploi ; la rigidité territoriale persiste. Ainsi, les navetteurs wallons sont principalement concentrés dans les couloirs frontaliers tels que Hal-Vilvorde, Courtrai, Louvain, et proviennent de Nivelles, Tournai, Mouscron, Liège – principalement dans l’industrie, le nettoyage, la logistique.​

Les navetteurs bruxellois, quant à eux, sont surtout présents dans la périphérie nord (Vilvorde, Machelen, Zaventem), majoritairement dans des métiers de la logistique et du commerce nécessitant une qualification moindre mais un néerlandais opérationnel ; d’autres accèdent à des métiers dans les services administratifs, les professions libérales et l’industrie. On note, par ailleurs, que leurs profils diffèrent selon la destination : vers la Flandre, ils sont plus jeunes, moins qualifiés, parfois issus de l’immigration récente, tandis que vers la Wallonie, ils occupent des fonctions plus qualifiées et techniques.​

L’attractivité extérieure de la Belgique évolue, notamment dans ses flux transfrontaliers liés à l’emploi : avec recul des mouvements vers l’Allemagne, mais une croissance très rapide des flux vers le Luxembourg, principalement encouragée par la fiscalité et la demande accrue de travailleurs qualifiés. Depuis la crise sanitaire, ce mouvement tend à ralentir, mais il reste structurant pour certains métiers et bassins d’emploi.​

Il a également été souligné que la définition différenciée des métiers en pénurie d’une Région à l’autre demeure un obstacle majeur à la fluidité professionnelle, même si des convergences récentes ont été amorcées entre le Forem, le VDAB et Actiris. Les obstacles ne sont pas que culturels ou linguistiques ; ils sont aussi administratifs et institutionnels, du fait de l’éclatement des compétences et de la multiplication des dispositifs régionaux, qui complexifient indûment le parcours des personnes en situation de mobilité interrégionale.​

Néanmoins, la Belgique n’est pas restée inactive : la coopération entre services publics de l’emploi s’incarne depuis près de vingt ans dans des accords interrégionaux concrets. Ceux-ci permettent l’échange d’offres, l’orientation, l’organisation de formations et de cours de langues, sans oublier l’accompagnement des demandeurs d’emploi qui, souvent, entreprennent des démarches transrégionales à leurs risques et périls dans un paysage institutionnel et administratif difficilement lisible. Plusieurs chapitres du rapport détaillent également les collaborations bilatérales intensives – dans certains cas pionnières – entre Services Publics Régionaux de l’Emploi issus de chacune des entités fédérées, pierre angulaire d’un modèle coopératif qui ne demande qu’à être renforcé.

En définitive, ce diagnostic approfondi met au jour un marché du travail belge morcelé où la mobilité reste freinée par des obstacles multiples – institutionnels, administratifs, territoriaux, linguistiques mais aussi socioculturels et informationnels.

Cette réalité doit guider nos choix politiques et inspire le panel étendu de recommandations élaborées par la commission, que je vais maintenant vous exposer.

Sur le plan de la gouvernance, il est essentiel de renouveler les accords de coopération entre les services publics régionaux de l’emploi, en y incluant des objectifs opérationnels concrets en matière de mobilité, de monitoring et de rapportage régulier aux parlements régionaux. Il convient également d’optimiser l’interopérabilité technique avec une meilleure fluidité dans l’échange des données entre plateformes, y compris les offres de stages, ce qui suppose la mise en place d’une base juridique claire pour l’échange des données personnelles liées à l’accompagnement et à la formation.

La création d’équipes interrégionales et de points de contact uniques le long de la frontière linguistique, inspirés des bassins d’emploi, est recommandée, tout comme le renforcement de Synerjob pour piloter collectivement la numérisation et coordonner des projets communs.

Le rapport invite aussi à s’inspirer du projet « Compétences sans frontières » pour bâtir des collaborations sectorielles transrégionales robustes, ainsi qu’à favoriser les partenariats entre services publics et acteurs de proximité, privés et sectoriels, afin de mieux relier formation et insertion professionnelle.

Concernant les métiers en pénurie, le rapport appelle à poursuivre le rapprochement des définitions entre FOREM, VDAB et Actiris, afin d’assurer une meilleure comparabilité et une lecture commune. Il préconise d’ouvrir les dispositifs de formation accessibles pour les métiers en tension, quel que soit le lieu de résidence des candidats, ainsi que de mieux aligner les politiques de formation sur les besoins territoriaux, grâce à un partage d’information dynamique et une cartographie précise des métiers critiques .​

Sur le volet de la formation et des compétences, la mise en place d’un accord de coopération intercommunautaire et interrégional devra également permettre de faciliter les formations et stages interrégionaux. Le renforcement de la formation en alternance et de l’apprentissage en entreprise figure au premier plan, ainsi que la garantie d’un soutien linguistique en début de parcours.

Le rapport insuffle également la nécessité d’harmoniser l’accès aux stages interrégionaux pour tous les publics en formation et de reconnaître automatiquement les compétences acquises.

Les horaires de formation doivent être flexibilisés, notamment par des modules du soir, et l’investissement dans les compétences numériques, à travers des plateformes d’apprentissage à distance, est considéré comme prioritaire.

La reconnaissance des diplômes et compétences est un autre chantier majeur. Le rapport plaide pour une harmonisation des titres, certifications et formations entre Régions afin que leur validité soit reconnue sur tout le territoire. L’acquisition de compétences doit pouvoir être validée par des certificats et microcertifications reconnues, et des parcours conjoints de formation qualifiante, avec des passerelles ouvertes entre Régions et Communautés, devraient, selon nous, être mis en place.

Enfin, il est crucial de faciliter l’articulation entre opérateurs de formation régionaux tels que Syntra, ou encore l’IFAPME pour orienter efficacement les candidats.

La question des langues reçoit une attention particulière parmi ces recommandations. Le rapport appelle à stimuler l’apprentissage du néerlandais dès le plus jeune âge, ainsi que du français dans l’enseignement néerlandophone, en imposant l’apprentissage d’une deuxième langue nationale dans l’enseignement obligatoire. L’offre de formations linguistiques doit être intensifiée, incluant programmes d’immersion et coaching sur le lieu de travail. Des modules adaptés aux spécificités sectorielles doivent être développés, et les employeurs doivent être aidés à calibrer leurs exigences linguistiques au plus près des besoins réels.

Enfin, pour lever les obstacles matériels, le rapport insiste sur la nécessité d’un soutien concret à la mobilité : un accompagnement élargi pour l’obtention du permis de conduire B, inspiré des dispositifs Passeport Drive ou Mobil4Job, s’impose.

L’intégration et l’amélioration des transports publics sont également essentielles, comprenant la constitution d’un réseau cohérent, l’adaptation aux horaires atypiques, la mise en place d’un ticket unique et l’harmonisation tarifaire. Le développement des infrastructures dédiées, telles que parkings et desserte des bassins d’emploi en périphérie, est crucial. Pour cela, l’association des employeurs et la mutualisation des dispositifs de mobilité, comme le covoiturage ou les plans d’accès pour les industries isolées, doivent être encouragée.

Monsieur le Président, Chers collègues, je tiens à remercier, une fois encore, les co-rapporteurs, Messieurs Diallo et De Roo pour leur excellente collaboration. De plus, je tiens à rappeler que ce travail important et essentiel n’aurait pas pu être réalisé sans le concours des services du Sénat tant au sein de la commission que les services de traduction et d’interprétation. Je tiens à les remercier tout particulièrement.

Ces derniers mois de travail sur cette thématique se sont révélés des plus éclairants sur la situation de notre pays. J’appelle l’ensemble de mes collègues à soutenir l’adoption de ce document car il est le reflet d’un diagnostic partagé de l’état du marché par de nombreux experts issus de multiples horizons. Ce document, et tout particulièrement ses recommandations, donnera les moyens et les pistes nécessaires afin d’agir de manière solidaire et cohérente pour placer la mobilité professionnelle au cœur de toutes les politiques de développement économique et de relance afin d’en faire un véritable atout. Adopter ce rapport constitue également, pour notre groupe, le choix d’une Belgique du plein emploi et de la coopération institutionnelle plutôt que de la fragmentation et de la défiance.

Je vous remercie.