Depuis plusieurs mois, le Sénat, par le biais de sa commission des Affaires institutionnelles, travaille sur la problématique des perturbateurs endocriniens. Cet enjeu de santé publique concerne tout le monde et touche plus particulièrement les femmes enceintes et les plus jeunes. Les experts auditionnés par les Sénateurs l’ont tous affirmé : il est temps de s’attaquer à ce dossier sensible et capital pour la santé de nos citoyens.

Une priorité à l’agenda politique

Les perturbateurs endocriniens… Un nom complexe qui s’est quelque peu ‘banalisé’ ces derniers mois. En effet, les perturbateurs endocriniens sont présents un peu partout. S’ils sont présents dans notre environnement quotidien, dans nos aliments, dans nos cosmétiques, dans les pesticides, ils le sont aussi au-devant de la scène politique européenne, dans les débats télévisés et les articles de presse.

Un perturbateur endocrinien, c’est quoi ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé en 2002 une définition des perturbateurs endocriniens qui fait l’objet d’un assez large consensus. Un perturbateur endocrinien est « une substance exogène ou un mélange qui altère les fonctions du système endocrinien et cause des effets négatifs ou indésirables dans un organisme intact, sa progéniture ou des sous-populations. »

Comme les experts nous l’ont expliqué durant les auditions en commission des affaires institutionnelles du Sénat, les conséquences et les risques pour la santé sont multiples : obésité, diabète, autisme, hyperactivité, troubles de l’appareil reproducteur et infertilité, effets neurologiques et neurocomportementaux, etc. Ce qui est important à souligner, c’est qu’ici, ce n’est pas « la dose qui fait le poison » mais bien le mélange qui en est fait, et le moment d’exposition qui représentent le véritable danger, et c’est ce que l’on appelle « l’effet cocktail ».

Un débat européen

Le 4 octobre dernier, la Commission européenne s’est une nouvelle fois heurtée à un « non » de la part des euro-députés. Censée proposer des critères d’identification clairs et précis des perturbateurs endocriniens depuis 2013, cet objectif semble difficile à réaliser. En décembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne avait d’ailleurs estimé que la Commission avait violé la législation de l’Union européenne en ne publiant pas de critères déterminant les perturbateurs endocriniens.

Les députés européens se sont prononcés contre l’exemption de substances ayant des effets de perturbation endocrinienne par nature. Cette exemption vise les pesticides qui anéantissent les insectes ou les plantes dit(e)s ‘nuisibles’ aux cultures en agissant sur leur système hormonal afin de bloquer leur mue ou leur croissance. Si cette fois-ci, l’exception ardemment souhaitée par les lobbys industriels, notamment BASF, Bayer-Monsanto et Syngenta, a constitué le motif principal du refus des euro-députés, c’est le niveau de preuve quasi inatteignable pour classer une substance dans la catégorie des perturbateurs endocriniens qui constituait l’argument majeur.

Le droit à l’information

L’une des missions premières des pouvoirs publics consiste à amener une information fiable et généralisée aux citoyens concernant la présence ou non de perturbateurs endocriniens dans les produits de consommation, en plus des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

Les consommateurs ont le droit d’être informés par les producteurs sur le contenu des produits qu’ils achètent. Et cela passe inévitablement par un étiquetage plus clair. L’étiquetage des produits est très important pour soutenir le travail individuel de prévention. Les pesticides et la présence de produits tels que le triclosan ; les bisphénols ; les perfluorés; les phtalates ainsi que des produits retardateurs de flamme doivent être signalés de façon encore plus visible sur les étiquettes.

Les pictogrammes d’avertissement pour les femmes enceintes et les bébés, comme celui existant pour les médicaments et l’alcool, pourraient aussi être utilisés pour les produits contenant des perturbateurs endocriniens.

La réflexion sur une labellisation européenne doit également être menée. L’écolabel européen devrait être maintenu et l’absence de perturbateurs endocriniens devrait constituer un critère supplémentaire pour l’octroi de ce label.

Un coût élevé pour la santé publique

En Europe, une étude réalisée par dix-huit chercheurs européens et américains et publiée dans la revue scientifique Journal of clinical endocrinology and metabolism a estimé que l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens, et en particulier aux pesticides, coûterait au moins 157 milliards d’euros par an de dépenses sanitaires au sein de l’Union européenne, ce qui représente pas moins de 1,23% du PIB de l’Union. A l’échelle de la Belgique, cela représente un coût énorme en termes de santé publique.

Une sensibilité particulière

Le nombre de cancers évolue de manière inquiétante dans le monde. Prenons l’exemple du cancer du sein. Entre 1990 et 2013, ce type de cancers du sein a doublé sur la planète. Il est certain que l’environnement joue un rôle important dans l’évolution inquiétante de ces statistiques. La Belgique est le premier pays au monde touché par le cancer du sein.

Des études scientifiques s’accordent pour dire qu’il y aurait de nombreux indices d’une action des perturbateurs endocriniens dans ce type particulier de cancer, comme nous l’ont également confirmé les auditions en Commission des affaires institutionnelles.

Une opportunité saisie par le Sénat

Compte tenu de ces éléments, notre Assemblée parlementaire a décidé de se saisir du dossier au travers d’un rapport d’information concernant la prévention et l’élimination des perturbateurs endocriniens présents dans les produits de consommation, en vue de promouvoir la santé publique. Ce rapport s’inscrit parfaitement dans le contexte actuel et est d’une importance capitale pour notre avenir et la santé de nos citoyens. Nous souhaitons également rappeler qu’il ne s’agit pas ici de la première initiative du Sénat en la matière puisqu’en juin dernier, l’Assemblée s’était déjà penchée sur la question en adoptant la « Proposition de résolution visant à mettre en œuvre une politique cohérente et intégrée afin de relever un défi pour la Santé publique : Environnement et maladies chroniques ».

Il est indispensable de développer des projets transversaux, de collaborer à tous les niveaux de pouvoir et de mettre l’accent sur la prévention. D’ailleurs, il s’agit là de l’intention première des auteurs du rapport d’information.

Les autorités compétentes devront se laisser guider par le principe de précaution dans leur politique de lutte contre les perturbateurs endocriniens ; baser leurs décisions exclusivement sur des études scientifiques indépendantes ; et prendre en priorité des mesures concernant les perturbateurs avec lesquels le public cible, c’est-à-dire les femmes enceintes, les fœtus, les enfants et les adolescents, entre en contact.

Il est grand temps de s’attaquer à cette problématique qui doit être placée à l’avant de l’agenda politique et scientifique, à la fois national et européen.


Audrey Mertens