Face à l’influence croissante de l’intelligence artificielle dans la vie actuelle, le Sénat a décidé de se pencher sur la question au travers d’un rapport d’information. Car, plus qu’une évolution, c’est une révolution que la société est en train de connaître. Petit aperçu des premières auditions menées en commission des Affaires institutionnelles.

Qu’on le veuille ou non, plusieurs si pas tous les aspects de la vie quotidienne sont aujourd’hui impactés par l’intelligence artificielle. Cette intelligence artificielle, elle se retrouve dans la robotique, la domotique, les objets connectés, les algorithmes, le big data…

Ce sujet, le Sénat s’en est saisi récemment par le biais d’un rapport d’information qui a été confié aux bons soins de la commission des Affaires institutionnelles avec, parmi les rapporteurs, le Sénateur MR de Neufchâteau Yves Evrard. Mais attention : afin de ne pas faire doublon avec les travaux menés par la Chambre au sein de son groupe de travail consacré au robonumérique, le Sénat se centrera sur des thématiques bien précises et complémentaires à celles de l’assemblée voisine.

Au programme du Sénat, donc, figurent l’éducation et la recherche, l’apprentissage tout au long de la vie et le marché du travail, la vie privée et les questions éthiques inhérentes au développement des robots, c’est-à-dire la responsabilité de ceux-ci ainsi que l’instauration d’un code de conduite pour une coopération saine entre l’homme et les machines. Le tout avec la volonté d’évaluer les potentialités de l’intelligence artificielle, d’en circonscrire les risques et d’en déployer les riches opportunités.

Impact de l’intelligence artificielle sur la société

Les réalités d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’hier ; elles se complexifient rapidement et nous mènent à poursuivre de plus en plus d’objectifs antagonistes : croissance vs environnement, excellence vs égalité, liberté vs sécurité, etc. Cette complexification s’accompagne d’une perte de contrôle et d’une triple menace : environnementale, économique et sociétale.

C’est dans ce contexte qu’Hugues Bersini a rappelé lors de son audition en commission que l’intelligence artificielle offrait d’immenses opportunités pour gérer ces menaces. « La somme des intérêts individuels ne satisfait pas l’intérêt du collectif, et l’enchaînement temporel de missions à court terme ne répond pas aux objectifs sur le long terme, a notamment expliqué ce professeur d’informatique de l’Université Libre de Bruxelles et directeur d’Iridia (le laboratoire d’I.A. de cette même ULB). Seule, aujourd’hui, l’informatique nous permet de comprendre cette transition entre les niveaux, compréhension sans laquelle aucune maîtrise n’est possible, de tester et saisir comment calibrer les missions et les intérêts locaux, afin de réaliser les missions globales à la satisfaction de tous ».

Transformation du marché du travail

Il y a cependant un point sur lequel convergent les nombreuses études sur le sujet, qu’elles soient belges, européennes ou mondiales : l’intelligence artificielle va transformer de nombreux emplois à court, moyen et long termes. Certains disparaîtrons, d’autres évolueront et, surtout, beaucoup de nouveaux métiers apparaîtront !
Cette mutation, voire disparition, d’emplois sera en effet accompagnée d’une création massive d’emplois dans de nouveaux secteurs tels que la cybercriminalité, le webdesign en trois dimensions, les applications liées à la blockchain, les secteurs créatifs ou encore l’industrie du jeu vidéo. Il s’agit là de la théorie de la destruction créatrice de l’économiste Joseph Schumpeter.

Les révolutions technologiques ont jusqu’à présent permis de réduire le volume des tâches répétitives, manuelles et plutôt ingrates qui nécessitaient du personnel peu ou non qualifié. C’est maintenant au tour des juristes, consultants, médecins, analystes financiers ou des métiers requérant une qualification moyenne de voir leurs professions évoluer, même si elles ne disparaîtront pas complètement. Cela pose un défi gigantesque en matière de formation de la population à des nouvelles compétences.

Enseignement et formation continue

Ces importantes transformations nécessitent d’être extrêmement bien préparé aux défis auxquels les citoyens, entreprises, services publics et politiciens seront bientôt confrontés. Il est dès lors essentiel que chaque citoyen, quel que soit son domaine, puisse se former continuellement et efficacement. L’apprentissage tout au long de la vie constitue une garantie de bien-être de notre société et de notre économie.

Il est donc capital que nous insistions sur la valorisation des formations continues, qu’elles soient encadrées ou autonomes. A noter qu’une proposition de résolution du Groupe MR sur l’enseignement numérique vante également les bienfaits (et le droit) à une formation continue.

Nombreux sont les experts qui rappellent par ailleurs qu’il est primordial que les différents programmes d’enseignement favorisent l’esprit d’entreprendre et l’éveil polytechnique, en insistant particulièrement sur le numérique (codage, algorithmique, etc.). Un minimum de compétences numériques va devenir indispensable pour un grand nombre de professions, regroupant indépendants, professions libérales, ouvriers… C’est donc dès le plus jeune âge qu’elles doivent être intégrées de manière transversale dans tous les cours.

Investir dans les initiatives belges

Les orateurs auditionnés par le Sénat ne cessent d’insister sur les nombreux atouts et potentialités dont la Belgique bénéficie dans le domaine de l’intelligence artificielle et du numérique, malgré sa petite superficie et sa complexité institutionnelle. Ces dernières, plus que des barrières, doivent être vues comme des atouts que les entrepreneurs, chercheurs et politiques doivent saisir. Nous devons miser sur les opportunités locales et développer nos propres solutions en matière de mobilité ou de transition énergétique plutôt que de nous tourner presque automatiquement vers les mastodontes de l’intelligence artificielle que sont les grands acteurs privés (les GAFA, par exemple).

Les chercheurs et entrepreneurs belges sont riches d’idées, d’aides et d’initiatives qu’il faut supporter et stimuler. Le rapport d’information du Sénat a notamment vocation à découvrir comment. C’est en effet en encourageant les acteurs locaux à trouver des solutions aux problèmes locaux que nous saurons développer nos spécificités.

Le Sénat se concentre sur l’emploi, l’enseignement, l’éthique et la vie privée

Tous les acteurs concernés par le développement de l’intelligence artificielle et ses conséquences doivent se mettre d’accord sur la manière de traduire au mieux les valeurs publiques dans des directives à l’attention des citoyens, dans une législation de qualité et dans la conception des technologies requises.

C’est pourquoi le Sénat apparaît comme étant le forum idéal pour faire le point sur l’ensemble des données scientifiques, connaissances et problèmes identifiés en la matière ainsi que pour traduire les constatations en recommandations politiques.

Le rapport d’information mettra l’accent sur les aspects qui concernent l’emploi, l’enseignement, la formation continue, l’éthique et la protection de la vie privée.

De nombreux experts scientifiques, économistes, institutions et chefs d’entreprise ont été et seront entendus afin de permettre au Sénat d’émettre ses recommandations. Pour sa part, le MR a proposé d’auditionner plusieurs spécialistes qui devraient entre autres pouvoir éclairer la Commission sur les énormes opportunités que l’intelligence artificielle réserve pour nos emplois et notre économie nationale.

Alexia Vercruysse